UNE DISCIPLINE DE FAIRE

Shiken – L’examen

L’examen est l’occasion pour l’élève que je suis de récapituler ses connaissances sous l’œil de son maître. Si la technique est mise à l’épreuve sur le tatami, il reste à l’examiné à revenir sur les acquis théoriques qui jalonnèrent son parcours. Ainsi, voici une réflexion personnelle sur quelques-uns des principes calligraphiés par Pascal Krieger dans son livre Ten-Jin-Chi, qui se sont fortement ancrés en moi à travers le temps, faisant écho aux découvertes, émotions et difficultés rencontrées lors de ma pratique.

 

Même un voyage de mille lieues commence sous tes pieds

Tout comme la marche, l’Aïkido est une succession de pas, posés les uns après les autres. Les étapes doivent être respectées car le premier pas est nécessaire au second pour ne pas trébucher. Il incombe donc au pratiquant de se discipliner sur ce qu’il fait, « ici et maintenant », sans trop se soucier de là où il va. Cependant, il ne s’agit pas de se laisser détourner du chemin que l’on s’est choisi. Car, si au départ nous sommes heureux d’avancer sur ce beau chemin, avec le temps il nous arrive de ressentir de la fatigue car la pente devient plus raide et parfois le courage nous manque pour avancer. Alors, nous voyons de nombreuses routes qui bifurquent de chaque côté de notre chemin. Elles sont plates et faciles d’accès. Pourtant les emprunter c’est renoncer au but fixé. Ce n’est pas tant l’idée de changer d’objectif qui est dangereuse mais bien celle de se laisser aller à la facilité de renoncer encore et encore, de marcher sans jamais progresser.

 

Nyû-Nan-Shin – L’esprit souple

Retrouver l’esprit du débutant est sans doute l’une des leçons que j’ai le plus souvent entendue lors de stages avec Chiba sensei. Plus le temps et l’expérience avancent, plus cette question devient pertinente. Le débutant ne sait pas, son esprit n’est donc pas bloqué par des problèmes d’ordre technique : « quel pied en avant déjà ?….ah non, mince pas comme ça….pourtant je le savais… ». Son esprit est vierge et tente simplement d’absorber au mieux les techniques démontrées par son maître, il ne se compare que peu aux autres et ne juge pas. Il nous faut toujours chercher à retrouver cette candeur qui libère l’esprit et nous fait apprécier les choses telles qu’elles sont et non pas telles qu’elles devraient être. Chiba sensei compare la curiosité et la motivation apportées par cet état, à celles que l’on ressent lorsque l’on tombe amoureux pour la première fois. Cette perspective devrait convaincre les pratiquants les plus satisfaits de revenir au stade du petit enfant, jamais rassasié de questions, ni de réponses.

 

Tanren – La forge de l’esprit

Pratiquer un art martial tel que l’Aïkido n’est pas une chose évidente. En effet, il s’agît de transformer son corps et son esprit toujours liés comme l’on transforme un morceau d’acier brut en un sabre poli et tranchant. Le forgeron commence par faire fondre l’acier afin de le débarrasser de toutes impuretés. Il lui faut ensuite le plier en couches successives afin d’obtenir la dureté souhaitée. Ces deux premières étapes, précédant le trempage et le polissage, illustrent à elles-seules la situation : je suis l’acier, mon maître est le forgeron tenant pince et marteau. Afin que les techniques s’intègrent dans notre corps nous avons besoin de les mettre au feu, chute après chute. Cela se fait dans l’effort et la répétition : « dans le sang la sueur et les larmes » telle est devenue ma maxime favorite pour affronter les coups durs depuis des années. Nous sommes ici dans le stade du métal dont parle Chiba sensei. Viennent ensuite l’eau (de la trempe) et le vent (du polissage) que je ne souhaite pas aborder ici car je suis encore posé sur l’enclume et comme nous l’avons vu, il ne faut faire qu’un pas à la fois.

 

Ces trois préceptes me semblent être une bonne base pour construire et entretenir, de nombreuses années durant, une discipline de faire – de l’Aïkido.

 

Florent Liardet

2011